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Aucun trafiquant de Captagon n'aurait été arrêté lors des perquisitions menées conjointement par le parti chiite et les FSI.
Le Hezbollah a déployé en fin de semaine dans la banlieue sud des éléments masqués chargés de rechercher des chefs de réseaux mafieux impliqués notamment dans le trafic de drogue. Le parti chiite avait participé durant les deux dernières semaines, auprès des forces de l'ordre, à des opérations de perquisition et d'arrestation de criminels dans la banlieue sud et à Baalbeck, dans le cadre du plan de sécurité de l'État auquel le Hezbollah affirme vouloir prêter main-forte.
Le fait qu'il ait décidé il y a deux jours de faire cavalier seul, et surtout de le montrer, est sujet à plusieurs explications. Une lecture au premier degré de ce déploiement le limite à la lutte contre la criminalité, coordonnée entre l'État et le parti, sans s'attarder sur la récente rupture de forme marquée par cette action unilatérale. Cette lecture est celle du parti, par la voix de ses cadres, comme le ministre de la Jeunesse et des Sports Mohammad Fneich. Ce dernier a ainsi déclaré à l'agence d'information al-Markaziya que « les éléments du parti sont là pour aider les services de l'État et pas l'inverse, et le Hezbollah leur assure tout le soutien nécessaire à ce niveau ». Et d'ajouter : « Nous exhortons depuis un certain temps l'État, ses services et ses institutions à accomplir leur devoir en mettant fin au trafic de drogue, qui est à l'origine de drames sociaux touchant de nombreux ménages et de nombreux jeunes. »
Cette rhétorique est celle d'une milice qui se trouverait – comme cela avait aussi été le cas des autres milices pendant la guerre civile – submergée par des criminels ayant grandi sous son giron avec un sentiment d'impunité marqué. Peut-être le parti chiite a-t-il besoin de mettre de l'ordre dans ses propres fiefs et de recourir à cette fin à l'État en tant qu'intermédiaire.
Le Hezbollah donne ainsi l'impression d'une lutte « sérieuse » contre la criminalité, une impression relayée dans les médias non seulement par des habitants de Bourj Brajneh, mais aussi par des fugitifs de ce quartier, comme si paradoxalement ils se plaisaient à contempler le couperet au-dessus leur tête.
Sauf que ce couperet, s'il doit tomber, reste avant tout l'instrument de la volonté du parti chiite. Et les limites de l'intervention de l'État dans les zones du Hezbollah semblent d'ores et déjà avoir été fixées. En effet, selon des sources chiites indépendantes, le parti souhaiterait moins combattre la criminalité dans le souci d'assainir le quotidien de sa base populaire que combattre ceux qui « lui font de la concurrence ». Il chercherait ainsi à asseoir « son monopole sur le trafic de drogue, comme il l'avait fait quelques années auparavant pour le Captagon ». Le fait qu'« aucun baron du Captagon n'ait été arrêté lors des poursuites récentes menées conjointement par le Hezbollah et les services de l'État » ne serait donc pas le fruit du hasard. En revanche, auraient été effectivement poursuivis des trafiquants de drogue « autonomes, la plupart issus de tribus, comme les Moqdad ». Cette sélectivité ne sera pas, selon ces sources, sans « créer de nouvelles tensions entre le parti et les tribus », qu'il n'a pu d'ailleurs domestiquer que par la force dans les années 80. Le déploiement d'éléments du Hezbollah à Bourj Brajneh renverrait donc un message d'intimidation à ceux qui, parmi ses propres gens, auraient des raisons d'être mécontents. D'autres « affaires internes » au Hezb en lien avec les résultats des récentes élections au sein du parti sont également évoquées par des milieux informés.

Le tweet de Machnouk
Ces raisons ne suffisent pas néanmoins à saisir toute la portée du déploiement militaire du Hezb : cet étalage de force justifié par des considérations internes n'a pas laissé insensibles les parties libanaises. Tous ceux qui d'ailleurs s'attardent sur « le message du Hezbollah à sa base » ne manquent pas d'y voir aussi « un message politique » adressé au pouvoir. La question reste de savoir à qui précisément s'adresserait ce message et quelle en est la teneur.

Dans les faits objectifs, la manifestation de force s'est produite le soir même d'une réunion de sécurité à haut niveau, qui s'était tenue au palais présidentiel. Elle intervient aussi à la fin d'une semaine marquée par la relance du débat interne autour de la stratégie défensive, suite à la missive des cinq anciens présidents à la Ligue arabe (une lettre axée sur la 1701 et la déclaration de Baabda), et en parallèle, la première rentrée officielle en grande pompe à Riyad du Premier ministre Saad Hariri depuis sa désignation. La missive a donc frôlé « l'interdit » d'évoquer les armes du parti et l'escale saoudienne de M. Hariri a comme révélé au grand jour la tendance saoudienne actuelle à resserrer les rangs de la communauté sunnite au Liban. La parade militaro-sécuritaire du Hezbollah servirait de réponse aussi bien à l'évocation de son arsenal qu'à la constitution d'un front sunnite homogène. « Nous ne répondrons à ce défilé militaire qu'en renforçant notre combat pour l'État, et rien que l'État », a ainsi tweeté le ministre de l'Intérieur, Nouhad Machnouk, dénonçant ainsi vivement la parade.
Commentant l'incident de la banlieue sud, des milieux proches de l'ancien chef d'État Michel Sleiman estiment que ce déploiement est « une preuve supplémentaire de la nécessité d'élaborer une stratégie défensive ». « Le Hezbollah apparaît ainsi comme le sixième signataire de la missive », constatent-ils. Du reste, cette « initiative des cinq » serait le fruit de rencontres « régulières » entre les cinq personnalités loin des feux de la rampe, dont l'objectif n'est pas de créer une opposition « pour le plaisir de l'opposition » au régime, mais de former « un noyau de gens qui mettent les points sur les i » à travers des initiatives ponctuelles et ciblées.
Quelque part, paradoxe mis à part, l'opposition au régime – prise dans le sens des efforts déployés pour édifier une ébauche d'État, comme la réforme électorale – semble pour l'heure émaner avant tout, et jusqu'à preuve du contraire, du Hezbollah.
 
Sandra NOUJEIM / OLJ / 3/4/2017

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