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Dans la confusion politique et constitutionnelle dans laquelle le Liban est plongé actuellement, il est utile d'entendre l'avis de spécialistes qui peut constituer une sorte de garde-fou juridique aux développements actuels et à venir, notamment sur deux points importants dans l'étape actuelle : le quorum de la séance parlementaire pour l'élection d'un président et les pouvoirs du gouvernement en place en cas de vide à la présidence. Me Antoine Sfeir, conférencier en droit international, rappelle que le texte constitutionnel concernant le quorum de la séance destinée à l'élection présidentielle n'est pas clair. Dans ce genre de situation, il y a une école en droit qui repose sur la déduction et qui consiste à déduire la volonté du législateur à partir de l'ensemble des textes, et dans ce cas précis, de la Constitution.

Or, Me Sfeir estime que même lorsqu'on remonte à la première Constitution du pays adoptée en 1926, elle évoquait le principe de la représentation équitable des communautés. La Constitution de 90 a été encore plus loin, consacrant le principe de la représentation égale. Ce qui signifie que les législateurs libanais ont voulu depuis la création du Grand Liban consacrer et protéger la « démocratie consociative » qui est la particularité du Liban, dans ses conditions et dans ses effets. Si on veut respecter ce principe aujourd'hui, on ne peut donc pas se contenter de la majorité absolue, ni même bien sûr de la « majorité plus un » comme ce fut le cas en 1970, dans le cadre de l'élection du président Sleimane Frangié (50 voix) qui avait obtenu une seule voix de plus que son rival Élias Sarkis (49 voix), alors que le total des députés était de 99. L'élection d'un président de la République étant la plus importante mission du Parlement, il est donc impératif d'exiger le quorum des deux tiers pour la séance d'élection présidentielle.

Il faut toutefois faire une distinction juridique entre la séance et les différents tours de l'élection. C'est pourquoi le quorum des deux tiers est exigé pour la séance, mais l'élection se fait aux deux tiers des voix des députés dans un premier tour et à la majorité absolue dans le deuxième. En réalité, le quorum des deux tiers est destiné à préserver la démocratie consociative. Il est donc requis pour valider la séance. C'est en ce sens qu'il faut comprendre l'annonce du président de la Chambre Nabih Berry lorsqu'il a levé la séance du mercredi 23 avril pour défaut de quorum, tout en précisant qu'elle se poursuivra mercredi 30 avril et que, comme il s'agit de la même séance, l'élection devrait se faire à la majorité absolue. Ainsi, le quorum des deux tiers doit être conservé pendant toute la durée de la séance. L'objectif de cette exigence est donc, d'une part, de préserver la démocratie consociative et, d'autre part, d'assurer la plus grande entente nationale possible autour du président de la République.

À ce sujet, il faut signaler que ce n'est pas du tout la même exigence dans le cas de l'élection du président de la Chambre. L'article 44 de la Constitution précise ainsi que cette élection a lieu à la majorité des voix des députés qui doivent être au minimum 65 présents dans l'hémicycle. Si personne n'est élu au premier et au second tour, l'élection au troisième tour se fait à la majorité relative. Toutefois, la Constitution ajoute que, deux ans après l'élection du président de la Chambre, le Parlement a le pouvoir de voter une motion de censure contre lui et contre le vice-président, à la majorité des deux tiers cette fois, pour qu'une telle décision soit nationale et consociative.

Me Sfeir évoque aussi l'expérience de 2007-2008, lorsque la présidence de la République a connu une période de vacance. À ce moment, il a été question d'élire un nouveau président à la majorité absolue avec un quorum de 65 députés. Mais le patriarche maronite de l'époque Mgr Nasrallah Sfeir avait refusé cette option, en déclarant que si un camp élit un président à la moitié plus une des voix des députés, le camp adverse pourrait riposter en élisant à son tour à la moitié moins et le pays se serait retrouvé avec deux présidents... D'ailleurs, l'élection présidentielle a toujours eu lieu avec un quorum des deux tiers des députés. Ce qui montre bien que l'esprit de la législation est basé sur le principe de la démocratie consociative et la Constitution est aussi une continuité.

Au sujet de l'hypothèse de la vacance à la tête de l'État, Me Antoine Sfeir est catégorique : c'est le Conseil des ministres réuni qui prend les pouvoirs du président, et ce dans la Constitution de 1926, déjà, qui avait prévu qu'en cas de présidence vacante, c'est le Conseil des ministres qui prend le pouvoir. Aujourd'hui, le même esprit continue de prévaloir et c'est donc le Conseil des ministres qui assure, en plus de ses prérogatives, la présidence par intérim. Le Conseil des ministres a donc dans cette période des « superpouvoirs ». Il assure sa mission, celle du président et doit aussi préparer l'élection présidentielle dans les plus brefs délais. « Ce n'est donc pas une gestion technique, mais une gestion politique et constitutionnelle », conclut Me Sfeir.

Scarlett Haddad - L'orient Le Jour 29\4\2014

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